La Femme sépia
[illustration : Femme au puits, Marcel Gromaire, 1933 ]
[parce qu'à travers l'angoisse, je veux être optimiste, et que y en a marre du sépia, des vieilles photos dans des boites à sucre et de tout le tralala. Que la femme sépia aille se boire une limonade chez la femme zombie, moi je suis vivante, et je reste ici. ]
Il faut tenir la nuit
Au creux des mains
Quand elle trace là sur la paume
Des royaumes indistincts
Caresses troubles
Fractures au son cristallin
D’un miroir double
Parce que je ne veux pas me perdre
Dans les atomes chauds
De la matrice
Je tente de rester là où je suis
Au-delà de nos cicatrices
Pas trop loin
En cas de besoin
Mais pas si près
Pas dedans non par pitié
Pas dans le miel
Des ruches générationnelles
Il faut tenir la nuit
En dedans des paupières
La brise agite le jardin et je fume une dernière cigarette
Assise sur une chaise bancale
Je frissonne
Je sais que quelque part
Le marais bruisse sa vie nocturne
Même si je m’en sens parfois si loin
Il est mien
Parce que je suis assise ici
Je peux vous voir, tous
Tenir mes doigts et votre amour
Le laisser affleurer
Une cape étouffante sur mes épaules
Dans la nuit de juillet
Je saurai la déposer
Sans la mettre en pièce
La colère m’a quitté
Il faut tenir la nuit
Coupante
Aigüe sur les collines
Discrète endorphine
Mais le sommeil me fuit
L’angoisse a fait son nid dans les branchages morts de mes rêves
Sa vague narquoise m’emporte
Je me relève
Parce que c’est ici que je vis
Et non dans les nœuds de velours du passé
Ni dans un ailleurs fantasmé
Parce que je ne suis pas
Ni celui-ci ni celle-là
La femme sépia
Parce que je suis singulière
Et colorée
Parce que j’ai tiré les cordes du puits
Et remonté la bassine
Pleine à présent d’une eau claire
En équilibre sur les ruines.
MELODY GARDOT Some Lessons