Vue du ring
Mes doigts sont vert pastel, drôle de maladie, d’espoir à tire d’elle. J’ai remisé mes cendres dans la boite noire d’un appareil scratché en vol, j’ignorais sa destination, de toute façon. Dans le casque le poète aux yeux gris dit ça roule, lady, engloutis-moi, et la maison silencieuse fait bulle autour de moi. Je tape vite, sans effort, pas assez fort, une lettre sur deux seulement s’affiche sur l’écran, cela m’amuse, ma muse, je corrige la ligne précédente, les syllabes inversées racontent une autre histoire, celle où mes yeux affleurent sous la surface visqueuse du marais. La créature me guide entre les flaques boueuses – flaque est fait pour appeler boueuse, on pourrait essayer avec boues flaqueuses mais ça fait pas pareil, groseille. Elle sautille devant moi et se retourne parfois, son visage aux traits grotesques étire un sourire sournois, c’est Golum incarné dans mes rêves et moi je boitille à sa suite, un pied enfoncé dans la vase et l’autre tendu vers la terre ferme. Eternel combat. Il m’arrive de l’oublier dans la frénésie du quotidien, lorsque chaque heure est tachycarde et bouffe demain, il m’arrive oui d’oublier que je vis dans un ring avec à ma droite mesdames zé messieurs, la baaaaabaaaaaa, sa gueule déchirée cousue d’ombre et ses doigts d’encre noire, dans les cordes face à elle, j’ai nommé mééémère en pantoufle et cheveux attachés , le bujo à la main et le sourire aux lèvres… et bim d’un coup ajusté je viens de me sécher.
Mes doigts sont vert pastel, j’ai joliment colorié mes calendriers de janvier, plutôt éviter de penser, de laisser connecter certaines zones du cerveau ho ho ho, attention ça va vite, risque de hors-piste j’ai déjà dévié cela ne doit pas recommencer nous avons voyez-vous érigé des barrières, celles qui étaient en poussière, il ne s’agirait pas de se perdre à nouveau sous les bouleaux, le dieux sont jaloux de nos corps nous balayons l’éternité attention l’auteur s’est permis ci-devant d’insérer une citation sans guillemets, petite sauras-tu la trouver , j’ai la nostalgie des jours qui s’étendaient sur le clavier, lorsque l’écran était vivant et que je vivais dedans. Je me dégourdis les doigts ce matin petite balade pour faire respirer mes loups, il n’a plus neigé depuis deux jours mais il fait si froid que les flocons sont figés dans leur forme primitive, j’ai dans la tête des milliers d’images neigeuses et glacées, pouvoirs de la pensée.
Il est presque dix heures, j’ai rêvé cette nuit que j’abandonnais ma voiture et que je continuais à pied, je retournais dans le quartier de mon enfance, les trottoirs blancs m’étouffaient, je suis passée devant le chalet du stade, en face il y a cette maison avec la haie, je sais que derrière le chien est en embuscade, il va aboyer et moi je vais quand même sursauter, mais dans le rêve je suis sur l’autre trottoir et je ne l’entends pas. Je me suis réveillée avec l’envie de retourner au marais.
[pour illustrer cette babafouille, un artiste que j'aime beaucoup en ce moment : Anders Rokkum]
chambre 2023 et des poussières