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L'isba de la Baba Yaga
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29 octobre 2017

Rencontre matinale

shaun_the_sheep

[illustration : Shaun the sheep ]

 

Je l’ai reconnu tout de suite, avec sa touffe de cheveux jaunes et sa salopette pattes d’eph. Il m’avait tellement agacée, celui-là, quand j’étais petite, avec ses  questions et ses aphorismes. Peut-être parce que je sentais qu’il n’était pas authentique, une supercherie bien illustrée  à laquelle une grande personne prêtait sa voix, de façon certes réussie mais tout de même. Ce n’est qu’adulte que j’ai commencé à apprécier sa fausse simplicité, peut-être étais-je moins affûtée. A côté de lui gambadait naïvement un mouton de papier.   

-  Pourquoi écris-tu ? me demanda-t-il, sans rancune, de sa voix flûtée.

J’eus très envie de l’ignorer ; d’abord était-ce bien lui ?  Je ne voyais de rose nulle part, seul ce mouton agaçant qui se mit à tirer doucement sur les lacets défaits de mes baskets.

-   Où est ta rose, rétorquai-je ?

Il n’eut pas l’air aussi déstabilisé que je l’avais escompté. Penchant la tête sur le côté, il me répondit avec sérieux :

-   Je l’ai laissée à l’abri sous son globe. Les nuits sont fraiches, je ne veux pas qu’elle gèle. C’est fragile, une fleur. Surtout lorsque c’est la fleur qu’on aime.

Il n’avait pas changé.

-   Pourquoi écris-tu ? reprit-il.

J’hésitai. Il me fallait donner une réponse, car je le soupçonnais de n’être pas soumis aux mêmes exigences temporelles que moi et d’être capable de poser sa question ad vitam aeternam. J’éloignai le mouton d’un discret mouvement du pied droit.

-  Pour être lue.

Cela me paraissait imparable. Court, efficace, presque péremptoire.

-  Pourquoi veux-tu qu’on te lise ?

Je soupirai. J’avais été bien naïve de croire m’en tirer à si bon compte. Le mouton profita  de mon désarroi pour s’attaquer vigoureusement au pied gauche.

-  Et bien … pour partager ce que j’écris. Je fabrique des choses avec mes mots et je veux que les gens voient ces choses.

Là, même endormie à cette heure matinale, je me doutais bien que cela ne  suffirait pas. A ma grande surprise, il hocha la tête. Puis il regarda un instant autour de lui, je compris qu’il cherchait des yeux le mouton. Celui-ci avait fini  par se désintéresser de mes chaussures et broutait nonchalamment une touffe de bruyère. Après un temps, le Petit Prince m’adressa à nouveau la parole.

-   Et … à  quoi ça sert, ce que tu écris ?

Je commençais à être agacée. Il était tôt, je n’avais pas encore bu mon café et cette discussion commençait à tourner en rond. Je répondis plutôt vivement :

-  Pourquoi faudrait-il que cela serve à quelque chose ?

-  Tout ce que l’on fabrique sert à quelque chose, m’assura-t-il. Un menuisier fabrique des chaises, elles servent à s’asseoir dessus … Un boulanger fabrique du pain, cela sert à nourrir les gens … on m’a fabriqué un globe, cela sert à protéger ma rose. A quoi sert ce que tu écris, répéta-t-il plus lentement, après s’être un peu emballé.

-  Cela sert à ….

J’étais bien embêtée. Je ne m’étais jamais posé la question en ces termes. Je m’étais demandé souvent si ce que j’écrivais valait quelque chose, si c’était « bon ». Si cela avait un intérêt- pour quelqu’un d’autre que moi, j’entends. S’il n’était pas ridicule de libérer ces mots décousus, de les laisser fredonner une mélodie audible, d’entrebâiller au monde la porte close de mon grenier. Je savais ce que moi j’y trouvais – une liberté, une ouverture, une joie que je m’interdisais peut-être ailleurs. J’ai toujours défendu la nécessité absolue de l’inutile, mais me ranger soudain dans cette catégorie avait tout à coup quelque chose de blessant. Il dut sentir ma perplexité.

-  A ranger des choses, comme une sorte d’étagère des sentiments ? proposa-t-il. Ou bien … à faire pousser des idées, des liens, comme un…engrais émotionnel ?

Il avait peut-être un peu grandi finalement, il employait des mots bien savants pour son âge. Peut-être était-ce sa rose qui lui avait appris à se planquer ainsi sous le feuillage rassurant des métaphores. Il était lancé, répondant avec enthousiasme  à sa propre question :

-  Ou encore…à nourrir les gens de ta perception du monde, à les enrichir de ta vision ? à vendanger tes émotions et à les présenter, encore sans filtre, à boire dans un verre transparent ?

 Il s’emballait, je ne pouvais plus en placer une. Il poursuivait :

-  Cela sert à rendre les gens différents,  affûter leurs sentiments ? une sorte de pierre à aiguiser l’âme ?

Le mouton, exalté, gambadait autour de nous. A vrai dire, tout cela était très beau, j’aimais bien chaque idée mais je n’étais pas sûre encore que ce soit cela. Ecrivais-je pour les autres, d’ailleurs ? Ma première réponse tout à coup me parut bien inadéquate.

-   Je crois que je me suis trompée…

Il marchait de long en large, suivi par le mouton qui secouait la tête d’un air niais.

-  Ah bon ? demanda-t-il l’air déçu.

-  Ce que j’écris … je ne crois pas que ce soit si utile que ça.

J’avais tout à coup très envie de pleurer. Je fixais mes pieds et le bout de mes lacets mâchonnés. Je ne pouvais pas affronter son regard et y lire ma tristesse en reflet.

-  D’ailleurs …

J’hésitai à  poursuivre. Je savais que j’allais lui faire du mal et cela m’importait un peu, au bout du compte. J’avais fini par m’attacher.

-  Ta rose non plus, elle n’est pas utile. Si le gel fend le globe et qu’elle meurt, le cours des étoiles n’en sera pas changé, crois- moi. Si j’arrête d’écrire, personne ne le saura. Personne n’a besoin de mes mots.

J’avais pensé qu’il aurait de la peine. Mais je m’étais trompée. Il était en colère. Il tapa de son petit pied dans un tas de feuilles mortes  et me répondit avec force :

-  Ce n'est pas vrai ! Pour ma rose, si elle meurt, il n’y aura plus jamais d’étoiles ! Pour tes mots, je ne sais pas, faut-il  vraiment que quelqu’un en ait besoin pour qu’ils existent ?  Ma rose existait avant que j’aie besoin d’elle.

Il semblait si sûr de lui, si réel et si vivant que j’eus très envie de le croire.

-  Alors… d’après toi, j’écris pour exister ?

Le glouglou de la cafetière me tira de ma rêverie. Je me retrouvai seule dans la cuisine froide, le chien couché presque sur mes pieds. Je remarquai que mes lacets étaient défaits et mouillés.

 

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