Mme Bovary et ostéothérapie
J’ai semé quelques doutes, petit poucet en déroute, et j’hésite à rêver. Devant le miroir ébréché je lis des souvenirs creusés sous mes yeux cernés, un matin ordinaire attend que j’ai pris ma douche, que j’ai rincé ma bouche. Sur la chaise est posée la petite pendule que tu m’as offerte il y a longtemps, pour un anniversaire, quand je ne t’interdisais pas encore de me fêter, elle me presse gentiment, rien à foutre du temps. J’ai appris hier la nouvelle funeste apportée par le vent, il n’y a rien d’autre que moi derrière le volet rouge.
Le chat de mon rêve vient parfois rôder devant la maison, mais j’ai préféré la raison. Son maître porte aux chevilles des grelots, je lui tourne le dos, son cliquetis têtu me poursuit et trace une ligne brisée entre rêve et réalité.
- Je l’ai relu cet été….en rêve …
- Mme Bovary ? Une femme qui s’ennuie.
Assis face à moi, le psy sourit au titre étrange du rêve que je lui lis avec application. Mme Bovary et ostéothérapie.
Ligne brisée entre rêve et réalité.
Autre lieu, trois jours après. Contre le mur le bureau de l’ostéo encombré, à côté de la porte une chaise sur laquelle j’ai entassé sans grâce mon jean, mon blouson en cuir et deux chaussettes dont je réalise qu’elles ne sont pas exactement de la même couleur, l’une beige, l’autre ocre. Je garde mon pull, prétextant avoir froid, tous ces lieux se ressemblent, et moi presque confiante devant le praticien, j’attends qu’il apprenne à mon corps à me tenir la main.
… Dans mon rêve, deux jeunes filles parlent avec la kiné, une étrange discussion littéraire à laquelle je cherche à me mêler, Mme Bovary et ostéothérapie.
Au réveil j’ai pensé que peut-être l’origine de la douleur est à chercher ailleurs. Au psy je dis : « parfois je bovaryse ».
- Mme Bovary ? Une femme qui s’ennuie.
Mes pensées sont des tentacules qui ventousent comme elles peuvent ce que je prends dans la gueule.
L’ostéo se tait, concentré, et moi je fixe le plafond pour ne pas voir mes membres prendre sous ses mains d’irréalistes positions.
Le chat de mon rêve vient rôder parfois, ai-je choisi la raison ?
- Peut-être est-ce un nerf coincé entre la 12ème et la 13ème côte. Ou bien cela vient des viscères.
Ah ? Pourquoi ne suis-je pas étonnée ? Viscéral, ou quand les viscères râlent, cela ferait un beau titre.
La séance du 17 est la première où j’évoque cette douleur, alors que j’ai mal depuis début septembre. Le psy, pas surpris, semble trouver ça intéressant, il note dans son petit carnet furieusement. Je parle de mon rendez-vous chez l’ostéo, un soulagement éphémère, peut-être rêvé. Comme toujours il me parle précautionneusement, comme si les mots assénés trop fort pouvaient me bousculer, me basculer dans le néant.
- Côté gauche ? On peut relier certains symptômes physiques à ce qui se passe dans la psyché…
J’acquiesce, n’est-ce pas ce que je suis venue entendre ? Mme Bovary et ostéothérapie.
- L’estime de soi. (Un temps) L’affirmation de soi. (Un temps) Pour s’affirmer il faut s’accorder suffisamment d’estime…
Pour se montrer. S’aimer assez. Banalités.
Je dénoue mes membres emmêlés à mes pensées avant de quitter le cabinet du kiné. Nous prenons rendez-vous pour la troisième séance, la semaine prochaine. Je note sagement l’heure dans mon agenda bleu, et je pense à ce que m’a dit le psy. Si ça continue de coincer dans la psyché, ça recoincera ailleurs…
Le chat de mon rêve vient parfois rôder devant la maison, mais j’ai préféré la raison. Son maître porte aux chevilles des grelots, je lui tourne le dos, son cliquetis têtu me poursuit et trace une ligne brisée entre rêve et réalité.