Fuite amniotique et produits dérivés
Platitudes enchaînées à des espoirs brisés, je cherche un oubli éphémère dans le verre en équilibre sur le bord de la baignoire, heures désespoir. J’ai jeté sur le sol les vestiges de ma vie d’autrefois, ajustés calibrés, éparpillés déchirés, le petit radiateur électrique voile le son de la télé dans l’autre pièce, je ferme à clé, pour un répit non quantifiable j’ai tourné la pendule posée sur la chaise de bébé, je veux qu’il soit nuit je veux minuit, je m’engloutis, Atlantide en ruine dans une eau fétide où s’oublie la brûlure de mon corps, déjà mort, je pars nager très loin partager des agonies tempérées, folle inhabitée. Je marche au bord d’un fleuve, j’écoute des musiques lointaines, sanglots étrangers, âmes en peine, je voudrais disparaître, arrête. Mes yeux sont secs. J’ai pioché dans la poche intérieure de mon sac un petit comprimé, j’imagine son action lente, un homme en blanc ferme les portes, les plaies béantes, bien sûr cela ne suffit pas, et je suis toujours là.
J’ai écrit il y a longtemps pour les vestiges de ma vie d’autrefois, lorsque l’avenir était simple, que se taisait ma voix, lorsque le futur n’était pas hypothéqué et se dessinait dans les cris des enfants. Le goût sucré du jus de fruit mélangé à l’alcool se fond au parfum du savon sur ma peau, je saisis l’éponge sèche et je frotte jusqu’à partir en lambeaux. Ma main glisse entre mes cuisses me rêve en sacrifice, une dose suffit, pour amoindrir ma vie, je me force, spasmes automatiques, trop de tête et pas assez de corps.
Il est presque minuit, quelle heure pourrait-il être, pour disparaître ? La position inconfortable de ma nuque contre le rebord de la baignoire m’empêche de sombrer tout à fait, l’eau est froide, je l’ai toujours été, je voudrais me noyer, ne pas avoir à assumer les jours à venir, dormir sans lendemain. Putain. Je rêve d’une ville lointaine, dont le cœur est fontaine, ma peau se couvre de mousse, écailles douces, l’ampoule tremble au-dessus de moi et convoque des ombres qui se pressent, elles grimpent sur les murs et dessinent un jardin, il est presque minuit depuis deux heures, dans l’eau bullent mes peurs, je ne sais lâcher prise, pas d’adjuvant, vie semblant.
J’ai cru savoir dompter l’angoisse, j’ai dit qu’on fera face, quelle autre alternative, que la dérive ?
Derrière la porte fermée des murs des cœurs des corps les autres je les aime, problème, je voudrais fuir mais je ne suis pas ivre morte dans l’eau refroidie je rêve juste ma vie. Le verre crapaud est vide, bonne fille, je sais ne pas en reprendre un autre et le petit cachet rose a rempli son office je glisse. Demain je serai là, je passerai quelques coups de fils, coups fébriles, coups inutiles. Demain j’attendrai patiemment que l’on me mette aux enchères. Je me mettrai à genoux et dans ma bouche je prendrais les vipères, qu’elles y jouissent m’indiffère. Mais il est encore minuit, quel jour sommes nous, j’attends. J’ai glissé par précaution un scalpel dans ma mémoire. Je veux pouvoir convoquer quand je le veux mes démons , mes beautés noires, bouées boueuses qui me tiennent en surface, n’ai-je jamais su qu’être ici, derrière une porte fermée à clé, dans l’eau froide de la baignoire, un verre posé sur le rebord, à rêver ma mort ? Je m’abreuve au pus sucré de mes délires, je caresse ma chair inerte en me mentant à moi-même, il est minuit une, sous la brume, l’heure de rendre des comptes, l’heure de la honte.
[source de l'illustration : https://www.instagram.com/radiohead/ ]