D.O. 2017 n° 82
[illustration : une oeuvre d'Alice Miller]
Je me suis appliquée à recopier en deux exemplaires la cartographie d’une âme qui ne m’est peut-être plus étrangère. J’ai mis aussi dans la pochette noire mes croquis du désespoir, quand il y a 4 ans je cherchais un punching-ball, ignorante des usages en vigueur sur mon ring intérieur.
Comme de plus en plus souvent, prête à l’heure je suis partie en retard, angoisse ridicule derrière un camion que je ne double pas, évidemment des travaux à mi-route, je roule vite je me gare sur le parking des quais, 10 minutes de marche à pieds c’est toujours ainsi que j’ai fait et puis l’attente dans la pièce minuscule, comme chaque fois. Aujourd’hui son incongruité me frappe, entrée vaste et vide et ce petit réduit fermé par la porte coulissante - j’imagine l’œil professionnel du soudeur sur les charnières métalliques- il n’y a jamais personne en même temps au même moment, même si trois fauteuils en osier tiennent les coins. Si, une année, il y a longtemps – la seconde peut-être : deux ou trois fois de suite, j’y trouvai une petite fille qui jouait au sol avec des playmobils ; j’ai changé de jour d’horaire ou bien c’est sa mère et depuis je n’ai plus rencontré personne dans la salle d’attente du psy.
Je suis arrivée avec à peine deux minutes d’avance et je me répare à attendre (oh... je me prépare. Bien sûr). Les revues sont archi lues, le magazine littéraire, Géo, lectures de bobo. J’ai rarement pensé à apporter mon propre livre ; pas le lieu. Je bidouille mon téléphone, j’efface de vieux messages, j’en envoie pour tromper l’attente, je pense à toutes ces fois où je me suis tenue là, sur le fauteuil face à la porte, toujours le même, les bruits de la rue montent par la fenêtre mal isolée du vieil immeuble. Je ne suis même pas nerveuse. Je ne sais pas encore ce qui sortira de cette séance, juste cette fois la pochette noire au bout des doigts et dedans : 4 ans.
J’avais préparé aussi au cas où un dernier rêve. J’avais pris cette habitude de vous les envoyer par mail, « à travailler pour la prochaine séance ». Qu’en sera-t-il maintenant de ce « travail » ? Je le sais en chantier. Serai-je capable de le mener seule ?
Je veux le croire.
Je n’avais pas anticipé je crois que ce serait la dernière. Je voulais faire un bilan, j’aurais aimé que ce soit vous qui posiez les choses, genre un médecin rassurant qui dit : voilà, vous êtes guérie. Mais prenez bien vos comprimés de brume, un peu d’eau de marais une fois par mois, et n’oubliez pas que vous êtes la baba.
Au lieu de quoi, vous avez posé les cartes sur le plancher et nous nous sommes penchés sur ce qu’elles disaient ou plutôt sur ce que moi j’avais à dire, ce jeudi de février.
Je suis surprise encore, presque une semaine après. Je ne sais pas quels leviers ont joué mais cette fois encore je me suis trouvée à me vider, là, dans le bureau clair, avec la cheminée à main gauche et la bibliothèque à droite, je me suis souvent demandé si vous arrangiez les livres en fonction de vos visites, Alice Miller.
Cette fois je n’ai pas fixé les carreaux devant la cheminée, mais ces feuillets posés entre nous. Et j’ai pleuré ces 4 années si difficiles.
Ces 4 putains d’années de douleur, de colère, de fuite. Où je me mettais à part dans la baignoire, où je me noire.
- 4 ans aussi où l’écriture m’a accompagnée nourrie, sauvée. Et sur la nouvelle carte mentale, un axe qui me traverse, celui de la création, voilà ce que je suis, aussi. J’écris.
J’avais besoin, ce jeudi dernier, de voir cela. Et de voir cela comme terminé. C’était ça le bilan.
Vous dites : nous ne fixerons pas de prochain rendez-vous.
Je sors du cabinet, je pleure, je crois. Je tombe sur le clodo rasta du coin du tabac, et bien que j’aie arrêté de fumer depuis juillet je voudrais lui taper une clope mais il comprend l’inverse, bien sûr qui aurait l’idée de taxer un clodo ? Je rentre alors dans le tabac j’achète un paquet de lucky et le briquet le moins cher. Mes mains tremblent quand je sors une cigarette puis je mets le paquet presque plein dans la main de l’homme, il me semble que je lui dis merci, et bonne journée, je tire une première taf depuis 6 mois, je pensais qu’elle me ferait tourner la tête mais non et je remonte la rue jusqu’au parking en pleurant franchement cette fois, je me fous des gens qui me croisent, j’ai besoin de ça une dernière fois. Une heure de virages plus tard je serai prête. Et libérée.
Est-ce que je suis guérie ? (à écrire lire relire ces mots pareil l’émotion me traverse me transperce, dans le silence de la maison du matin)
Je ne sais pas. Je me connais mieux, je vois les câbles barbelés qui ont tenu serrées les générations et fait souffrir. Je veux savoir les éviter à présent. Et les éviter à mes enfants.
En brave petite patiente consciencieuse j’ai posé par écrit cette dernière séance (« écrits - D.O. séances 2017 n° 82 ») et j’ai voulu, comme cet abruti d’Orphée, jeter un œil en arrière :
Mai 2013, séance n° 3 : quelle est votre représentation du féminin ? Je dis « c’est la silhouette ratatinée qui pleurniche dans le fauteuil ».
Voilà d’où je suis partie. Voilà exactement où j’étais il y a ces foutues 4 années.
La baba était là, mais meurtrie.
Aujourd’hui elle me donne la main, et je la berce dans mes mots, nous sommes cet axe qui me tient en vie. Cet axe qui vit.
Alors merci.
Parce qu’après ces 4 années de thérapie, je suis revenue des Enfers, je suis rentrée chez moi, pas où l’on voulait que je sois, pas où l’on avait décidé pour moi, mais vraiment chez moi. Et si la vie continue sa turbulence et bien, je serai là.
à Patricia et D.O.
H.F.THIEFAINE...La pensée des morts....Inedit...Ultra rare.