Je rêve un orage qui me mettrait debout
[illustration : Diana Dihaze, pour " Bazaar of bad dreams", de Stephen King]
A quoi bon cracher ma sève
J’enfonce avec rage mes pieds dans la boue et je rêve un orage qui me mettrait debout. J’ai cru pouvoir enfin me devenir, un être abouti et fier, je ne suis jamais complètement parvenue à me dire, femme en brouillon, et pauvre con. Sur la peau nue grouillent quelques insectes, cela me soulève le cœur et je le pose sur le marbre, prêt à la dissection : est-ce donc cela dont les autres se servent ? Le mien est sec.
La nuit s’abime et se froisse, je tire avec peine quelques mots noirauds de mon escarcelle de fillette, et je ne veux surtout pas comme dit le poète qu’il y ait des ascenseurs dans les abysses , l’escalier est condamné depuis longtemps, une lumière jaunâtre y tombe en soupirant, j’ai sauté les dernières marches, elles ne conduisaient nulle part
Allez aujourd’hui est un bon jour, pour mourir mon amour
Oh qu’il est bon de laisser courir sur la peau nue les vers et j’écrase dans un cendrier mon âme sans filtre,
J’appuie sans ménagement sur les touches qui jouent directement dans ma bouche je lèche le canon d’une rengaine bohème, je prends les mots à contresens, qu’est-ce que t’en penses ?
Il est bon aujourd’hui de laisser mourir mon ennui, car suis-je capable encore de livrer de la rime carrée, hémistiche et césure, de la poésie d’ordure ? Je scande mes hexamètres au pied de biche et j’ouvre mes blessures, crevure ! A la niche ! Tout ça ne rime à rien, et je le sais bien, je garde pour demain mes gerbes en friche, mes crachats de godiche
Et je rêve un orage d’hiver, d’un orage de vers, où mes mots seraient tonnerre, je rêve trop je le sais, il suffit de bien penser, il suffit de renoncer mais je n’ai plus le mode d’emploi entre les doigts, j’ai arraché mes ongles et je jongle , avec mes paupières, avec mes prières, oh il sera bien temps demain, d’arracher les ronces en chemin, sous la chair une épine, elle n’était pas là hier et je retourne à la terre, aujourd’hui est un bon jour, pour bêcher entre les tombes, l’orage s’éloigne, ailleurs, gronde, pour d’autres âmes aimantes et faibles, à rebours j’ai pris la mienne, allongée sur les rails il sera bientôt
l’heure du retour.