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L'isba de la Baba Yaga
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28 mai 2016

Le temps de la danseuse

degas_danseuse

[illustration : une oeuvre photographique d'E. Degas, danseuse. ]

 

J’ai volé sa mémoire à une femme-enfant, rêve étrange, venu d’un autre temps. J’entrevois une silhouette inquiète, je devine un visage étroit et des yeux en amande, dont le regard vert pâle s’est tourné vers les ombres. Mes doigts crayonnent dans le vide et, entre les marges de mon papier quadrillé, elle surgit. Sur le plan déplié de Paris, mon imagination est le pendule qui la promène un jour de pluie.

 

Anne vient de quitter l’artère bruyante de la rue de Rivoli et oblique sous un passage couvert. Ses cheveux courts lui font un casque de lutin, sa petite taille renforce cette impression, sur les pavés  et sous la pluie naît un être hybride, elfe indéterminé et gracieux, mi-sauvage, mi-urbain. Elle a enfoncé ses mains dans les poches d’une veste en laine ; la pluie l’abrite du regard des passants, elle avance sous le vent. Un sac en cuir bat contre ses hanches au rythme de pas nerveux. Elle baisse les yeux sur le petit walkman qu’elle a finalement décidé de s’offrir la veille aux Galeries, tant pis pour la dépense, la fugue délicate de la musique valait bien ce  sacrifice. Son pas prend le rythme des notes, les passants lui sourient. Elle croise le regard d’un vieil homme assis contre la grille d’un jardin avec son chien. Les arbres nus font dans son dos un théâtre d’ombres chinoises. Indécise elle fouille son sac,  et repêche au fond son petit portemonnaie, entre un livre de poche aux pages écornées à force d’avoir été lu, et un  carnet à spirales. Elle en sort, presque honteuse, un ticket de métro qu’elle conservera longtemps, témoin de carton d’un songe parisien,  elle le coince entre le majeur et l’index, et avec concertation finit par extirper une pièce de  monnaie, dix francs qu’elle glisse dans la paume du clochard. Le vieil homme la rassure d’un sourire, et fait tourner la pièce entre ses doigts, magicien des jours froids. Le chien à ses pieds bouge à peine. Elle reprend  alors sa marche, une bourrasque de vent souffle sa jupe, elle a soudain envie de rire, rien ne rime à rien, ni sa fuite, ni ce chien, ni ce jardin, ni la subite envie de danser qui la prend.

 

 Je ne sais pas où elle va ni d’où elle vient, à vrai dire j’ignore tout d’elle, de cette fille-hirondelle. À peine un nom, le sien et le nom de celui qu’elle a aimé. C’est peu.  Rien sur les circonstances de sa mort, rien sur ce qu’a été sa vie, rien sur ce qui l’a conduite à marcher sous la pluie, ce jour-là, rue de Rivoli. Je la rêve en fuite, arrivée un matin poussée  par un vol de printemps, migration hésitante, pour vivre quelques heures de liberté dans cette chambre minuscule qu’elle a louée. Je ne sais pas non plus pourquoi elle me vient aujourd’hui, pour me parler de pluie. Peut-être a-t-elle quelque chose à dire qui n’a pas été entendu, peut-être s’agit-il de trouver ce qui n’est plus?

 

Je la perds un instant dans les méandres de souvenirs empruntés, la ville s’est transformée, dédale étrange de la mémoire et du rêve. Beaucoup de monde dans ces rues qui convergent vers la place de la République, un groupe d’adolescents s’arrête sous ce même passage voûté qu’autrefois Anne a peut-être emprunté, trois garçons et deux filles, l’une d’elle abrite la flamme d’un briquet derrière le dos d’un de ses camarades, elle rejette ensuite la tête en arrière et rit, l’un des trois autres élève son portable, le groupe se fige puis reprend sa marche vers l’Histoire, il est rejoint par d’autres gens, ceux-ci sont graves et portent une banderole comme un linceul. Il est encore tôt dans l’après-midi mais ce dimanche de janvier il fait déjà presque nuit.

 

Sans le savoir la manifestation  a suivi le tracé de son errance, j’ai plié la feuille de papier et je dessine en transparence.

 

Les yeux perdus dans la musique, je la rêve. C’est un instant qui lui appartient, elle est seule depuis longtemps, je sais le secret des sentiments, une flamme survivante dont la lueur nimbe toute chose, par-delà 30 ans de mémoire close.

 

La place est bondée, je ne vois plus le groupe d’ados, peut-être est-ce l’un d’eux qui là-bas se hisse sur le socle de la statue, folie d’un jour acclamée par la foule. Le monde a les yeux fixés sur lui, symbole que tout n’est pas pourri, malgré les pleurs, malgré les peurs.

 

Je voudrais qu’elle s’arrête d’errer au gré de mes pensées pour lui donner ce moment, alors que dans ma tête elle virevolte au gré des notes du petit appareil, fantôme menu d’un songe-soleil. Lorsque les images feront le tour du monde, personne ne fera attention à ce halo de lumière  au dernier rang de la foule silencieuse, le  temps de la danseuse.

 

 

Sirius Plan - La Complainte De La Butte (Froggy's Session)

 

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Commentaires
K
Merci, je comprends mieux ainsi ;)
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