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L'isba de la Baba Yaga
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6 février 2016

Jonction muette

libres3

 

[peinture : Alice Miller - 1ère de couverture de Banished Knowledge ]

 

Le vieil escalier de bois gémit ses trois étages, je me serre contre le mur pour laisser passer une femme qui monte, ses clés à la main, signe qu’elle ne va pas d’où je viens. Je m’interroge un instant, que disent mes yeux baissés, mes mains serrées l’une sur la bride de mon sac et l’autre sur le mouchoir chiffonné. Puis c’est la lourde porte, je prends soin de la tirer derrière moi, ce qui s’est dit dans l’immeuble n’en sortira pas, déjà assez pénibles les mots à peine murmurés dans le petit bureau, flot de lumière d’après-midi sur le parquet, dans la bibliothèque un livre retourné, Alice Miller, et sur la cheminée, ouvert en son milieu, Miro. J’ai beaucoup regardé la cheminée aujourd’hui, et les lattes du parquet blond de soleil, aussi. Parfois le regard de l’homme en face de moi, et comment il formule avec précaution des mots impensables, des choses que je ne parviens ni à dire ni à écrire mais qui sont là tout de même.

Je tords les mains vers du vide, une feuille sortie ce matin de l’imprimante de mes rêves se froisse, pliée en douleurs trop anciennes pour s’évacuer.

Les maux dits ne sont plus maudits. Crédo moderne, auquel je m’accroche. Ils se déploient au fil des séances, prennent plus d’assurance et moi à côté je mets toutes mes forces à les garder secrets. Mais ces forces-là s’épuisent, minées par ce qui est dedans, guettant son heure, patientant sur les rives et filtrant dans les rêves. J’ai plongé dans ce marais d’ombres, j’y ai trouvé quelque chose, de lourd, d’abject, et dangereux. Vivant

A l’inverse de Frodon, l’anneau s’allège et son alchimie passe à travers les mailles du filet de la raison et des habitudes. Passe avec douleur. Passe mes peurs. 

Dehors le soleil s’est fait moins intrusif, presque 4 heures de l’après-midi, il y a du monde dans les rues pavées, je marche à grandes enjambées, sans parvenir à domestiquer mes yeux, la cigarette au bout de mes doigts m’accorde un peu de répit. Devant le lycée de Mallarmé deux adolescents s’embrassent, une autre  moins jolie essaie de ne pas les regarder avec envie, elle tape sur son smartphone l'air absorbé, un groupe de collégiennes traverse, leurs rires cachent un temps le bruissement mécanique de la rue. 

Le trottoir est étroit, plus encore  après le croisement, une haie déborde sa propriété, un homme avance, penché. Taille moyenne, allure moyenne, vêtements gris, tout en lui est terne, je me prépare à me décaler sur la droite pour que nos deux bulles puissent se croiser sans se frôler, il ralentit l’allure à mon niveau, surprise je n’ai pas le temps de dissimuler mes yeux. Les siens sont beaux, pâles et tournés vers dedans. Il me parle, je comprends alors que tout, son regard vague, son visage régulier, sa barbe naissante, son allure hésitante, a été façonné au goulot d’une bouteille. Je  suis arrêtée presqu’en face, nous encombrons l'étroit  trottoir mangé par la végétation, lui chargé de ses chimères, moi le poids du vide encore dans la tête. Je me prépare à sortir mon paquet de clopes, il en reste 3 je les lui donnerai. Mais ce n’est pas ce qu’il veut et il me faut quelques secondes pour saisir les mots rendus confus par la boisson. Poli, « Excusez-moi, je peux vous poser une question ? » 

Celle qui veille, celle qui calfeutre, celle chienne de garde avec un collier à pointes pour percer les sentiments, dit : « non je n’ai pas le temps ». Je réassure la main sur mon sac, son regard est déjà ailleurs à nouveau, il est passé. Mes bottes sur le bitume reprennent leur compas trop régulier, un effort, la voiture est garée sur les quais, sortie d’école, cris, parents exaspérés, personne ne peut voir que j’avance déchirée. 

La question que l’homme gris ne m’a pas posée est là. Elle me suit, elle me précède, elle emplit l’habitacle de la voiture avec le souvenir de la cigarette que j’y ai fumée en arrivant pour me donner du courage. 

La question est là, menace, réconfort, inutile et nécessaire. 

Etait-ce la question qu’il a trouvée au fond de sa bouteille, trop fauché pour acheter la suivante qui lui aurait peut-être apporté la réponse ? 

Est-elle celle qui l’a empêché ce matin de laver ses yeux gris, d’assurer ses pas dans la vie ? 

Est-ce la question que je n’ai pas osé laisser exister dans le cabinet du psy, dans le soleil de cet après-midi ? 

La question du clodo s’est noyée dans le marais, et ses échos emplissent la forêt, silhouette découpée par les troncs blancs des bouleaux. Je ne l’oublierai pas.

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