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L'isba de la Baba Yaga
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27 septembre 2015

Le Cognassier / partie 6 : " sa sœur qui, cette fois, ne comprenait pas…"

 

 

le_cognassier

 

 

Claquements, verrous. Portes que l’on ouvre, pression, des mains saisissants les grillages, des trognes appliquées contre l’acier. Voix d’hommes, à peine, dans un jour uniforme et grisâtre. C’est le manque de lumière qui lui était le plus pénible, ce crépuscule des chairs et des cœurs, l’indéfinissable désespoir de l’enfermement. Et la mince lueur qu’apportait chacune des visites d’Adeline, comme si son visage venu du dehors s’efforçait de garder un peu de la lumière du soleil, et de la lui transmettre, dans ce parloir où l’air lui-même semblait vibrer de toute la détresse glaçante  de l’humanité. 

 

Les premières fois il s’était contenté de la regarder. Il n’arrivait plus à parler. Les mots de la prison étaient des mots de survie, des mots amoindris, atrophiés, des mots qui s’étaient dévoyés au contact des autres détenus et des matons. Des mots qu’on l’avait forcé à apprendre et à prononcer, comme on l’avait forcé à apprendre les règles de la société carcérale. Des mots qui, en se frayant un passage dans sa gorge, avaient à jamais déchiré quelque chose en lui. Il se refusait à salir les autres, ceux qu’il s’appliquait de toute son âme à conserver, à ne pas oublier.  Les mots de la vie, de l’espoir, de l’affection, entre ces murs barbelés. Pour ne pas les contaminer, il les taisait. 

 

Décontenancée, Adeline avait pu croire qu’il lui tenait rigueur de sa propre liberté puis elle avait accepté. Elle se tenait sage en face de lui, les mains croisées sur sa jupe, et faisait la conversation. Elle donnait des nouvelles des gens qu’il connaissait, des gens qu’il avait connus, de gens qu’il ne connaissait plus. Peu à peu dans ces discussions à sens unique, des noms avaient surgi, auxquels il ne pouvait associer aucun visage, aucune voix. Des rencontres qu’elle avait faites depuis son incarcération, et qui peu à peu avait pris place dans sa vie, alors que d’autres en sortaient. Leurs parents étaient morts trois ans après qu’il eut commencé à purger sa peine. Il ne les avait jamais revus depuis son arrestation. Des amis, des connaissances, partis. A leur place, des patronymes inconnus, des voisins nouvellement installés, des existences lointaines qu’elle lui apportait ici, comme un cadeau. Il s’était familiarisé avec ces fantômes, spectres d’une vie qui lui était refusée, au point  d’avoir fait siens certains des souvenirs d’Adeline. 

 

-             Léo n’a plus le bras dans le plâtre, il va pouvoir reprendre ses cours. J’en suis heureuse, il est doué tu sais. Dommage que sa mère refuse qu’il entre au conservatoire. 

 

Son silence disait tout, ce petit Léo lui plaisait bien. Il comprenait la mère, le conservatoire ça voulait dire la ville, l’internat. Léo n’avait après tout que onze ans. Ses parents avaient emménagé dans la vieille demeure familiale qu’ils louaient. Lui était docteur, docteur des âmes blessées, il recevait ses patients dans le salon du rez de chaussée. La mère, issue d’une grande lignée bourgeoise des environs, ne travaillait pas et veillait à l’éducation de leur seul fils. Adeline habitait un petit appartement tout près, et elle revenait dans la maison qui l’avait vue naître pour donner ses leçons de piano à l’enfant. Par bonheur il était doué, et d’un heureux tempérament. 

 

Ce jour-là, comme à l’accoutumée il cherchait à lire sur les traits aimés le reflet de cette vie dont on l’avait privé : il sentait le parfum de la ville traversée en voiture jusqu’au parking de la prison, devinait sur les lèvres à peine maquillées le goût du café bu le matin debout derrière la fenêtre ; il contemplait sur le visage paisible l’empreinte de sa routine régulière, absorbée tout entière dans la pratique et l’étude de la musique. 

 

-             Ils vont l’acheter. 

 

Ces quelques mots l’avaient distrait tout à coup. Il se demanda s’il y avait quelque chose qui lui avait échappé. Au fil des années, Adeline s’était habituée à ses silences, et ne prenait pas toujours garde à la cohérence de son monologue. Comme une voix intérieure suit parfois des images dont le cheminement peut nous surprendre, il lui arrivait de passer d’un sujet à l’autre, sautant du coq à l’âne avec l’assurance de celle qui sera comprise. Alors, depuis un an ou deux, il sortait de son mutisme et d’une question la remettait sur les rails de la conversation. 

 

Cette fois ci, le regard soudain plus vif qu’il lui lança suffit et elle reprit, s’assurant d’être un peu plus claire. 

 

-             La maison. Ils ne veulent plus seulement  louer. Ils veulent acheter. C’est elle. Elle dit qu’elle s’y plaît, que Léo est heureux, qu’il y est chez lui. Ils veulent faire une piscine. Au fond du jardin, tu sais, là où tu aimais jouer. Vers le vieux cognassier. 

 

Son babillage lui devint peu à peu incohérent. Il sentit sa vue se troubler, une douleur diffuse gagna le haut de son corps. Il se demanda avec détachement s’il n’était pas en train de faire une sorte d’attaque. Adeline continuait à pérorer, inconsciente du trouble que ses paroles avaient semé chez son frère. 

 

-             C’est une grosse somme, bien sûr tu en auras la moitié lorsque tu sortiras. Je placerai l’argent, je saurai me débrouiller. J’ai des amis qui pourront me conseiller. Comme ça je ne serai plus obligée de garder le mi-temps à l’épicerie,  je pourrai juste continuer quelque cours, et les concerts, bien sûr. Ce sera une bouffée d’oxygène pour moi, je sais bien que tout ça doit te paraître dérisoire vu d’ici mais… 

 

Elle baissait la voix. Elle ne se plaignait jamais mais il en savait suffisamment pour deviner que sa vie était difficile, qu’il fallait « faire attention », à tout, tout le temps, les seules dépenses autorisées étaient celles qui faisaient vivre sa  passion. 

 

-             Je continuerai à venir donner ses cours à Léo. Il est tout excité par cette piscine, tu sais ! 

 

Sa voix se fit celle de la petite fille qu’il avait connue, elle aussi enthousiaste à l’idée de ce luxe inattendu. 

 

-             Léo m’a montré les plans, dans le bureau de son père. Ils vont abattre le cognassier et construire une cabane, quelque chose de sobre, de léger, pour se changer, se rafraîchir, tu vois… 

 

Il crispa sa main sur son cœur. Le malaise à présent ne pouvait se dissimuler. Inquiète, Adeline appela le surveillant,  deux hommes entrèrent, on le soutenait, on l’emmenait, et, dans un effort surhumain, jetant les yeux derrière lui il intercepta le regard de sa sœur qui, cette fois,  ne comprenait pas…

 

 

 

Petite piqûre de rappel : Le Cognassier est une nouvelle écrite à  4 mains, vous pouvez la lire depuis le début ici  ou en suivre la publication en alternance dans l'isba et sur Bandersnatch .

 

 Note de la Baba : J'insiste un tout petit petit peu...si vous lisez, amis zélés, faites-nous des retours ! Certes l'écriture à 4 mains n'est pas un exercice totalement nouveau pour moi mais j'ai peu l'habitude de la fiction, et cette expérience-là me tient à coeur. Elle s'est construite dans le temps, et j'espère que vous vous attacherez autant que nous à ses personnages, qui à  présent prennent un peu d'épaisseur... alors...dites-nous ce que vous pensez, de Tom, d'Adeline, de l'écriture, de la construction, de la sardine en boite et de l'espérance de vie du hanneton !

 

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Commentaires
B
merci pour tes retours ! J'espère que tu aimeras la suite ;)
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K
Comprend pas, j'avais écrit un com pour le précédent, et je ne le vois pas... bizarre.<br /> <br /> Bon je vais m'assurer que celui-ci parait. Je vous suis, avec vos quatre mains et vos deux talents. Tom et Adeline me plaisent, elle dans sa candeur de femme-enfant (enfin c'est ainsi que je me la représente), lui dans son mystère, son mutisme et sa souffrance qu'on ne comprend pas encore tout à fait.<br /> <br /> J'attends donc la suite :)
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